LE RENDEZ-VOUS DES IDÉES. Pour l’écologiste malienne Mariam Diallo Drame, il est urgent « d’instaurer une justice climatique qui prenne en compte le genre ».

Propos recueillis par Coumba Kane

Mariam Diallo Drame, présidente de l’Association
Femmes, Leadership et Développement durable (Afled).

Sécheresse, inondations, pluies diluviennes… L’Afrique paie un lourd tribut au changement climatique, malgré sa faible contribution aux émissions de gaz à effet de serre. Les femmes sont particulièrement touchées. Elles ont, avec les enfants, quatorze fois plus de risques de mourir lors d’une catastrophe naturelle que les hommes, d’après les Nations unies.

Alors que s’ouvre la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques (COP26) à Glasgow, Mariam Diallo Drame, militante écologiste malienne, ancienne conseillère du premier ministre et présidente de l’Association Femmes, Leadership et Développement durable (Afled), pointe l’urgence d’associer les Africaines aux politiques de lutte contre le changement climatique.

Pourquoi en Afrique les femmes sont-elles plus durement éprouvées par les conséquences du changement climatique ?

Au Sahel, les femmes paient tout simplement le prix de leur rang au sein de leur communauté. Au quotidien, ce sont elles qui vont chercher du bois, puiser de l’eau. Or les sécheresses à répétition et la pluviométrie fluctuante rendent leur tâche encore plus éreintante, car les points d’eau se tarissent et le bois se fait rare. Elles doivent donc marcher encore plus.

Sans oublier qu’elles sont plus pauvres que les hommes et plus dépendantes de l’agriculture. Quand les aléas climatiques détruisent les récoltes, les femmes perdent leur faible pouvoir d’achat. De fait, en Afrique, le changement climatique aggrave les inégalités déjà fortes. D’où l’urgence d’instaurer une justice climatique qui prenne en compte le genre.

Ce constat est-il partagé dans votre pays ?

Au Mali, il est très difficile pour nous, militants, de faire comprendre aux hommes, aux dirigeants et à l’opinion publique l’existence des inégalités de genre. On nous rétorque qu’il s’agit là d’une lecture des rapports hommes-femmes importée d’Occident, qui ne colle pas à nos réalités. Pourtant, les discriminations basées sur le genre existent bel et bien. Il est donc compliqué d’expliquer que le changement climatique accentue ces inégalités.

Qu’en est-il à l’échelle internationale, dans les négociations au sommet comme les COP ?

Les institutions internationales reconnaissent cette vulnérabilité. Des rapports démontrent également que les Africaines sont en première ligne du changement climatique. Mais les actions tardent à se concrétiser pour les aider à s’adapter à cette nouvelle donne. Et puis il manque une réelle solidarité entre les femmes africaines. A l’image du continent, elles arrivent à ces rencontres en ordre dispersé, sans agenda commun. Chaque délégation tente de se positionner pour capter les fonds. Pourtant, les militantes des pays du Nord sont prêtes à soutenir leurs revendications. Comment faire avancer les luttes des femmes africaines en matière d’environnement si elles ne parlent pas d’une même voix ?

Sur la scène internationale et en Afrique, des femmes, souvent jeunes, portent le combat contre le changement climatique. Et pourtant, dans les instances décisionnaires ou dans les sommets internationaux, les hommes restent surreprésentés, d’après un rapport de l’ONU. Ce décalage joue-t-il sur les politiques en faveur des femmes ?

Oui, car on constate que lorsque des ressources sont allouées aux pays en développement pour les aider à faire face au changement climatique, comme dans le cas du Fonds vert pour le climat, l’argent est souvent redirigé vers des grands projets technologiques portés à 70 % par des hommes, selon une étude de l’ONU Femmes parue en 2020. Les hommes restent décisionnaires. Il faut en faire des alliés, car seules, nous n’y arriverons pas.

De quelle manière faudrait-il soutenir les Africaines face au changement climatique ?

D’abord, il faut s’appuyer sur leur expérience du terrain. Au Mali, les agricultrices possèdent des techniques traditionnelles d’adaptation, par exemple la transformation de la bouse de vache en combustible. Pour obtenir du biogaz, elles mélangent la bouse à de l’eau dans une grande cuve puis l’enfouissent sous terre. Il serait pertinent de déployer cette technique à grande échelle, en finançant des microprojets qui permettraient aux femmes d’utiliser un combustible durable et bon marché.

Par ailleurs, pour qu’elles puissent se passer du charbon de bois, nocif pour la santé et l’environnement, il faut miser sur des énergies alternatives comme le solaire. Quant à la question cruciale de l’eau, face aux sécheresses, la création de points de ravitaillement doit être une priorité. D’une manière générale, les grands projets doivent être accompagnés de projets plus petits, générateurs de revenus et portés par des femmes, dont l’impact sur les communautés est plus direct. Au Mali, des initiatives autour de la production et la vente de karité ont permis l’autonomisation des femmes productrices.

Dans un pays comme le Mali, en proie à l’insécurité politique et militaire, la question climatique apparaît-elle comme une urgence ?

Pas vraiment, alors que ces deux aspects, crise climatique et sécuritaire, sont liés. L’insécurité résulte en partie du changement climatique. Ceux qui viennent grossir les groupes armés sont souvent issus des populations nomades et des rangs des éleveurs, confrontés aux difficultés agricoles du fait de la sécheresse. Pour survivre, ces jeunes rejoignent des bandes criminelles qui leur promettent de subvenir à leurs besoins.

Sans oublier que dans ce contexte d’insécurité, la mobilité des femmes est réduite. Lors des corvées de bois ou d’eau, elles risquent d’être agressées, enlevées et exploitées. Face à cela, la réponse des autorités, uniquement militaire, ne peut suffire. Il est urgent d’appliquer une réelle politique d’adaptation au changement climatique en prenant en compte les femmes qui se retrouvent, dans les zones en conflit, dans une situation humanitaire déplorable aujourd’hui.

Qu’attendez-vous de la COP26 qui s’ouvre à Glasgow ?

L’écoute de nos revendications ne suffit plus, on attend le respect des engagements pris lors de la COP21 à Paris. Mais je crains qu’à cause de la pandémie de Covid-19, les Etats riches rechignent encore plus à financer les initiatives de soutien aux femmes du Sud. Elles ont toujours été sacrifiées dans les négociations et cela risque de perdurer.

Nous ne pouvons pas tordre le bras aux décisionnaires. C’est aussi à nos dirigeants africains de porter ce combat. Ils ont les arguments pour le faire, car le continent paie un lourd tribut alors même qu’il pollue le moins. Ce déséquilibre a des répercussions sociales et sécuritaires, puisqu’il aggrave les inégalités et favorise l’instabilité.

Coumba Kane

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